Les lendemains qui déchantent

Thibaud Collin, agrégé de philosophie, auteur de Les lendemains du mariage gay, publie ce jour une tribune dans Le Monde daté de demain :
H"Les centaines de milliers de manifestants de dimanche seront-ils entendus par l’exécutif ?On peut espérer que cet événement politique sera pris en compte dans sa signification la plus profonde. Tout dépend du schème de lecture choisi. Cette manifestation peut, en premier lieu, être comprise comme la réactivation de l’affrontement des « deux France » : la « France conservatrice » avec pour axe l’Église catholique qui n'aurait jamais digéré la Révolution et la perte de son emprise politique ; et la « France progressiste », ouverte aux évolutions historiques et étendant progressivement les grands principes des Lumières à de nouvelles réalités. Dans cette ligne de compréhension, la manifestation de dimanche est dans l’ordre des choses ; son succès peut même confirmer que la méthode utilisée pour résister aux critiques du projet de loi est la bonne. Pensons aux propos de certains députés socialistes lors de l'audition des responsables des Cultes à la Commission des Lois ou à ceux de Vincent Peillon sur le danger que ferait courir aux jeunes homosexuels une École catholique aux velléités prosélytes. La manifestation en soulignant un tel clivage donnerait alors du grain à moudre à tous ceux qui considèrent que le débat de fond n’est pas légitime puisque le peuple souverain s’est déjà exprimé en mai dernier, voire même parce que« de l’égalité, on ne débat pas ». Manière de ne pas entendre ce que ces centaines de milliers de citoyens ont cherché à exprimer dimanche. Et c’est là qu'une deuxième interprétation du phénomène est envisageable.
Certains ont esquissé des comparaisons avec la manifestation de juin 1984 sur l’école libre. Il s’agissait alors pour les manifestants de défendre un droit que le gouvernement leur confisquait. Il y avait donc un intérêt immédiat, notamment financier, à descendre dans la rue. Aujourd’hui, rien de tel. La loi sur le mariage ne force personne à se marier avec quelqu’un de son sexe. Mais alors quelle cause pousse tant de gens à contester un projet ne touchant en rien leur vie quotidienne et leurs droits acquis ? Le sentiment d'injustice face à une loi bouleversant le régime de la filiation et privant certains enfants soit de leur père, soit de leur mère. Pour entendre une telle indignation, il faut sortir du schème des« deux France » et admettre que certains sujets arrivant dans le débat politique ont des racines dans l’intimité non seulement de l'individu mais aussi du peuple ; la mort, la transmission de la vie, la nature des liens humains etc. sont des éléments de la condition humaine qui invitent à un colloque de la conscience avec elle-même. La mission du politique est alors de trouver les moyens de se hisser à la hauteur de tels enjeux et d’offrir le cadre public d’une authentique réflexivité sociale. Madame Taubira en reconnaissant que ce projet de loi était « une réforme de civilisation » a parcouru une partie de ce chemin. Pourquoi ne pas le suivre jusqu’à son terme en en tirant les conséquences et en se donnant les moyens institutionnels d’une réelle discussion démocratique ? Le président de la République se situe après tout dans le lignage d'une conception ouverte de la démocratie, pratiquée par Jacques Delors et théorisée par Jürgen Habermas.
Quand bien même la majorité des manifestants serait constituée de croyants, n’y aurait-il pas une faute intellectuelle, et peut-être politique, à réduire leur discours à une conviction religieuse pour mieux le neutraliser? A cette approche étriquée de la laïcité, Habermas oppose que l’État libéral a au contraire « intérêt à donner libre cours aux voix religieuses dans la sphère publique politique » et qu’il « ne peut pas décourager les croyants et les communautés religieuses de s’exprimer aussi politiquement en tant que tels, parce qu’il ne peut pas savoir si en procédant de la sorte il ne coupe pas la société séculière de ressources importantes pour la fondation du sens ».[Entre naturalisme et religion, Gallimard, 2008, p.190]Certes la condition d'une telle prise en compte est que les croyants jouent le jeu de la raison publique séculière et fassent l’effort de« traduire » leur position en des raisons susceptibles d'être entendues par tous leurs concitoyens ; ce à quoi les opposants au projet loi se sont largement astreints ces derniers mois.
Le Président de la République ferait donc preuve de sagesse en étant soucieux que cette résistance profonde ne soit pas traitée avec mépris. Il a suffisamment reproché à son prédécesseur de cliver et de brutaliser le pays pour être capable le moment venu de prendre toute la mesure de cette indignation et de la canaliser. Référendum ? États-généraux de la famille et de la filiation ? Les cartes à jouer sont diverses. Refuser d'entrer dans le dialogue risquerait d'être perçu par de nombreux Français comme un signe d'obstination idéologique et contribuerait à rendre inflammable le corps social."

Commentaires

Au petit bonheur a dit…
Merci d'avoir partagé ce texte !
Anonyme a dit…
Merci!
Jacotte
ffcscnbqn a dit…
La proposition de loi sur le "mariage pour tous" arrive logiquement dans le contexte d'une culture de mort et d'une mentalité contraceptive qui ont gravement altéré la place de l'homme dans la société occidentale. Ce gouvernement "aveugle et sourd" poursuit une logique dans laquelle la société s'est engagée depuis de nombreuses années et où le mot "liberté" s'est défiguré porté par un individualisme outrancier qui fait, sous couvert de pseudo- droits de l'homme, régner la loi du plus fort au détriment de l'enfant à naître, du vieillard ,..., et maintenant de l'enfant adoptable ou fabriqué sur mesure pour satisfaire au désir d'enfant qui ne peut que sembler légitime quelque soit la situation des "parents" potentiels dans une société qui a refusé toute frustration et perdu le sens de l'homme en même temps qu'elle perdait le sens de Dieu !
Malgré tout, et quand la situation semble bien sombre, nous savons que ce monde, celui dans lequel nous vivons aujourd'hui est sauvé par le Christ, qu'Il l'a porté dans sa Passion, que le bien croît plus vite que le mal, même si parfois le mal est plus visible, et c'est là mon espérance.
Merci pour ton post, en union de prière.
camille a dit…
merci pour ce texte partagé!!! cette journée de dimanche était en effet énorme, festive et très respectueuse de chacun. Personne n'a levé la voix contre les partisans du mariage pour tous que nous avons pu apercevoir à leurs fenêtre.
si seulement notre président normal pouvait entendre son peuple comme il nous l'avait promis!!!
Cissou a dit…
Super cet article ! Espérons que nous serons entendus...
Anonyme a dit…
A noter qu'aucune civilisation par le passé ayant accepter homosexualité n'a survécue bien longtemps à un tel choc. Les historiens le savent très bien.
Même dans la nature, il n'y a aucun animal franchement homosexuel. Bien que certaines personnes argumentent comme tel l'hermaphrodisme (escargot par exemple) ou des quelques comportements ambiguës à une phase de " presque jeune adulte " mais sans vraie copulation proprement dite et avec un retour de l'accouplement mâle-femelle certain.

A savoir aussi et bien plus dangereux encore et dont on entend pas parler c'est que lorsque dépassées certaines barrières de dérèglements, le mal-être inassouvi en appelant un autre, l’homosexualité déboucherait assez fréquemment sur une éducation portée vers l'impudicité, la pornographie voire la pédophilie.
Alors à ceux qui disent que ce débat ne me concerne pas directement, je n'ai pas fait des enfants pour dans les décennies qui viennent ils aient à être confronter à ce point à une hostilité contre tout ce qui est limpide, simple, pur, juste et beau.
Je ne veux en rien juger le cœur des personnes qui sont dans ces artifices (cela ne m'appartient pas, et ce qu'ils font dans leur chambre ne me regarde pas plus que ce que je fais dans la mienne ne les regarde ; je n'ai pas la moindre envie de m'occuper de ce style d'impudicité) mais il serait juste que la nation entière juge leurs demandes quand on sait très bien que d'une manière ou d'une autre elles affecteront les générations à venir ( La Loi Veil n'était-elle pas faite au départ pour quelques exceptions ? )Quand est-il devenu, quand devriendra-t-il ?
Dans 30 ans, les ados ne devront -ils pas avoir une expérience homo pour s'assurer qu'ils ne le sont pas (au yeux du groupe et à leur propre yeux)? Expérience profondément troublante marquée dans leur chair jusqu'à leur mort les privant de leur pleine capacité de jugement et liberté intérieures pourtant si génératrices d'esprits réjouis, sains et créatifs.
Valérie a dit…
Bonjour.
Je m'étonne que l'on puisse être contre cette loi;
En effet, de quoi s'agit-il?
d'autoriser l'homosexualité? non, c'est déjà fait.
d'autoriser les personnes homosexuelles à vivre en couple? non, c'est déjà fait.
de les autoriser à avoir un désir d'enfant? non, ils n'ont pas besoin d'autorisation pour ça, ce désir profond est inscrit en chacun de nous, c'est la force de Vie.
de les autoriser à concevoir ces enfants désirés? non, ils le font déjà, ils sont homosexuels mais pas stériles.

Pour ces couples homsexuels, sela leur permettra d'hériter l'un de l'autre, de percevoir la pension de réversion en cas de décès, de bénéficier des mêmes droits que les autres couples.

Mais je ne pense pas que cela soit cette extension de droit qui gène les opposants au mariage pour tous en général.

Finalement, ce que cette loi va offrir, c'est le droit pour ces enfants nés dans un couple homoparental (qui existent déjà) d'avoir les mêmes droits que les autres enfants. Cela va leur permettre de grandir dans une stabilité accrue.

Vraiment, je ne vois pas comment on peut être contre une loi qui donne des droits.

Si cette loi n'est pas votée, il y aura toujours et de plus en plus d'enfants issus de familles homoparentales. Ils auront juste moins de droits que les autres.

Croyez vous vraiment qu'il suffise d'interdire le mariage pour tous pour empêcher cette réalité?

La force de Vie est trop forte en chacun de nous pour nous empêcher d'avoir des enfants... quelque soit notre vie. Il suffit de voir les enfants nés dans les états esclavagistes : ces enfants étaient voués eux aussi à être des esclaves ; pourtant, ils naissaient.