A Monsieur le Ministre #2

Ce billet (2012) est malheureusement toujours d'actualité. Il s'adressait à Vincent Peillon, ministre de l'Education Nationale de l'époque. Il colle étrangement aux temps actuels...

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L'enseignement du latin au collège


A force de faire rédiger les programmes par des cols blancs totalement déconnectés de la réalité, révélant une méconnaissance crasse de l'enfant et de l'adolescent, on en arrive, Monsieur, à des énormités pédagogiques: on ne fait plus de traductions latines en cours de latin !
Afficher l'image d'origineEt oui, pour ceux qui n'y sont pas encore, fini, les thèmes, les versions, Tite-Live, Sénèque et les autres, place à la civilisation ! Et quelle civilisation! Deux mois de 4ème sur les viols de Lucrèce, avouez, Monsieur, que c'est particulièrement bien choisi pour des adolescents (mot qui trouve son origine dans le latin) de 13 ans ! Et puis c'est vrai qu'il n' y a rien de plus intéressant à évoquer de la civilisation romaine ...

Alors bien sûr on fait de la grammaire en condensé, et dans la plupart des classes, les enfants doivent encore apprendre du vocabulaire. Mais comme rien de tout cela n'est réinvesti dans des versions ou des thèmes, et bien ça n'est pas retenu !
En fait, si, il y a des traductions, mais elles sont déjà dans le manuel: comprenez un texte latin, en face sa traduction et de temps en temps quelques mots soulignés dans le texte qu'il faudra traduire ! Alors me répondra-t-on, "oui mais les enfants sont aujourd'hui incapables d'analyser" ! Et oui tout se tient ! Vous voulez dire qu'on ne fait pas assez de grammaire au primaire ? Qu'elle y est mal enseignée ?
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Pourtant, selon moi, Monsieur, le latin n'avait qu'un seul intérêt : l'apprentissage de la rigueur. Parce que le reste était finalement très secondaire : l’étymologie des mots français peut se faire avec un dictionnaire et en cours de français, la civilisation peut se comprendre en histoire. Le premier intérêt du latin était la rigueur, le deuxième la construction de la pensée, le troisième la méthode de travail. Mais il en existe un quatrième, l'héritage.

Mais comme d'habitude, on a préféré laisser les difficultés au placard, comme si le fait de ne plus les voir, ne les faisaient plus exister. De peur que nos chères têtes blondes ne se donnent un peu trop de mal -point d'efforts ni de contraintes au pays des bisounours- on a gardé le secondaire, l'accessoire, vidé de son sens.

Pourtant il n'y a pas de plus grande satisfaction que de parvenir à surmonter une difficulté.quelle joie quand on est parvenu à traduire cette phrase difficile dont on ne voyait pas le bout et qu'on obtient une remarque positive de son professeur !

Il est toujours plus facile, Monsieur, de supprimer les difficultés plutôt que de leur apprendre à les surmonter. 
Tant que la société, les familles et l'école encourageront d'abord la facilité, le loisir et la paresse, il ne passera plus rien de grand dans notre pays !

Commentaires

ffcscnbqn a dit…
Tout à fait d'accord : à part mon aînée qui a encore fait un peu de latin au collège et au lycée (ce qui lui a bien servi puisque maintenant elle est archiviste-paléographe), ceux parmi mes autres enfants qui ont fait du latin au collège en connaissent moins après trois ans de latin que Nils après trois mois avec les bonnes vieilles méthodes à base de versions et de thèmes !
Mais ce matin c'est en regardant la liste des livres conseillés en français pour le collège que j'ai été sidérée : à part "Le Horla", je n'ai guère vu d'oeuvre classique : au moins avec de tels programmes, je n'ai pas peur de ne pas en faire assez à la maison !
Sylvie a dit…
« Il est toujours plus facile, Monsieur, de supprimer les difficultés plutôt que de leur apprendre à les surmonter. »

J'adore!!!!

Hélas c'est une réalité, même ici au Canada!

J'apprécie beaucoup ta prise de position claire!
Eugénie a dit…
Sur le ton de la plaisanterie, si je puis me permettre, car je ne peux m'en empêcher tant cela me vient à l'esprit:
Il semblerait que le Latin soit jusqu'à présent bien loin des pensées de Monsieur le Ministre justement qui semblait en revanche bien plus intéressé par une possible légalisation du Cannabis...
Anne a dit…
le goût de l'effort a disparu en France, l'école n'a plus aucune ambition pour nos enfants!
A nous de leur donner l'envie d'entreprendre et le sens du travail (bien) accompli!
Même le Gaffiot n'existe plus que dans un seul sens (latin/français)!
Ah misère de misère...
Amélie a dit…
Désolée de devoir contredire et défendre les "cols blancs" qui réfléchissent quand même en profondeur à ce que les profs leur font remonter de ce qu'ils vivent sur le terrain.

Les programmes de latin en vigueur depuis la rentrée 2010 pour les 5°, sont ambitieux et (nous) encouragent à "plonger" les élèves dans les textes. Cela dépend peut-être des professeurs.

Félix Gaffiot n'a jamais travaillé à un dictionnaire français-latin.

L'étymologie est étudiée en cours de français mais l'histoire des mots clefs de notre civilisation ne l'est qu'en cours de latin.
Cf.http://media.education.gouv.fr/file/31/56/2/Langue-culture-antiquite-college_101562.pdf

Le travail sur les traductions est un exercice important pour comprendre la structure de la langue... française. Je regrette de n'y avoir pas été initiée avant l'université.

Petite expérience personnelle : la façon d'enseigner le latin comme je l'ai appris nous décourageait déjà dans les années 1990. On continuait parce qu'on n'avait pas le choix. On m'aurait dit que je serais professeur de latin alors que je peinais en en 4°, je ne l'aurais pas cru. Heureusement que certains ont su prendre du recul sur l'enseignement des langues anciennes. L'enseignement en université avait déjà renouvelé ses méthodes en 2000. Et c'est là que j'ai vraiment compris comment cela "fonctionnait".

La meilleure preuve de l'efficacité de remise en question dans ce domaine est la diminution des désertions de l'option en cours de cycle au collège. Il faut savoir balayer devant notre porte. Si les élèves tournaient le dos ça n'était pas par paresse mais certainement parce qu'on ne leur parlait plus à eux... On se gargarisaient depuis trop longtemps de notions trop éloignées de leur préoccupations.

Cela fait 4 ans que j'enseigne le latin au collège. 12 élèves en 2009 en 5°. 31 en 2012. Et je travaille en suivant scrupuleusement les programmes.

Il y a encore beaucoup de travail : stopper l'hémorragie d'élèves entre le collège et le lycée en premier lieu. Défi enthousiasmant.

Ce ne sont pas les programmes qui sont en cause. Ce sont les mentalités. Quand on part battus et qu'on rejette la faute sur les élèves qui "ne sont plus ce qu'ils étaient" (Sophocle le déplorait déjà en son temps), on continuera de s'enfoncer dans une vision misérabiliste de notre jeunesse. ça n'avance à rien, ça fait peur et les élèves nous font bien comprendre qu'ils attendent autre chose que nos jérémiades. Et ils ont raison.

Valete!
Bonjour Amélie, je vous remercie de votre commentaire qui tranche...!
Je ne déplore pas que les "élèves ne soient plus ce qu'ils étaient" et si tel est le cas, la faute est d'abord imputable aux parents, selon moi.
Je réitère à partir de mon expérience : je n'approuve pas ce programme modifié car je constate malheureusement que les latinistes des collèges m'environnant sont aujourd'hui absolument incapables de traduire quoi que ce soit !Je ne peux donc pas confirmer l'efficacité que vous évoquez...
Je donne des cours particuliers de latin ! C'est dire s'il existe des enfants motivés qui souhaitent apprendre autrement qu'avec les nouveaux programmes...On me demande des cours "à l'ancienne",on me réclame des cours de grammaire, des versions et des thèmes et on me fait part de la lassitude de tant de civilisation...
Voilà ce que je vois dans mon quotidien
Nous n'avons jamais été forcés d'apprendre le latin qui était déjà une option à notre époque...
Tous les collégiens latinistes que je fréquente ne souhaitent pas prolonger l'expérience au lycée...preuve que le programme n'est pas forcément si enthousiasmant que cela...
ffcscnbqn a dit…
Au lycée il y a un autre problème : mon fils souhaitait continuer le latin, mais étant scientifique et désirant également prendre les options adéquates pour continuer en S, il n'a pas pu choisir la nouvelle option "langues et cultures anciennes" (il me semble que c'est son intitulé) car les horaires étaient incompatibles avec ses autres options, problème nouveau puisque ce n'était pas le cas du temps de mon aînée !